Lettre ouverte
aux spectateurs et amis du CDN, lue à la fin de la première représentation de Comment on freine ?, mardi 17 novembre 2015.
Chers amis,
Pardonnez-moi d’interrompre ainsi les saluts et de prendre la parole. On aimerait toujours pouvoir laisser le dernier mot à l’auteure et aux acteurs.
Mais il nous a semblé à tous, équipe du spectacle et équipe du CDN, que nous ne pouvions pas nous quitter sans partager avec chacun d’entre vous, l’émotion qui est nôtre, tout simplement d’être ici, ensemble, ce soir, assemblés.
Les mots sont pauvres après ce que nous venons de vivre.
Nous pleurons nos morts, nos frères, nos semblables, tués vendredi soir dernier, au Stade de France, dans une salle de concert, aux terrasses des cafés dont les noms ne cessent depuis de sonner à nos oreilles : le Bataclan, le petit Cambodge, le Carillon, la Belle Equipe. Des lieux où il faisait bon vivre, s’aimer, partager, dans la joie des retrouvailles et des rencontres.
Ils ont perdu la vie, vendredi soir, fauchés par des assassins qui n’ont que la mort à transmettre, l’apocalypse comme seul horizon.
Le juge Trévidic a fait état avant-hier à la radio d'un interrogatoire avec un djihadiste. A la question: "Vous n'avez pas peur de mourir? », il a répondu : "Pourquoi j'aurais peur de mourir puisque je suis déjà mort ?". Viva la muerte !, criaient déjà les fascistes pendant la guerre d’Espagne.
Le règne de la mort, du chaos, de la peur, du tous contre tous.
C’est ce piège qu’ils nous tendent. Le piège qui présumerait coupable l’étranger, l’immigré, le réfugié qui vivent ici, avec nous, qui sont en danger comme nous, qui l’ont été avant nous, premières victimes de ces mêmes assassins, pour beaucoup d’entre eux.
A toutes celles et ceux, et nous sommes si nombreux, qui travaillent à resserrer les liens humains, à réduire toutes les failles dans lesquelles peuvent s’enfoncer, pour les élargir, les forces de la division,
A toutes celles et ceux qui ont foi en l’humanité une et indivisible, en l’intelligence collective et solidaire, sachez que cette maison est la vôtre, grande ouverte à tous les désirs d’engagement, d’échange, de rassemblement chaleureux, fraternels, de pensée partagée. Occupez-la !
Elle est un des nombreux remparts dont nous avons aujourd’hui tant besoin, et plus encore dans les temps qui nous attendent.
La route sera longue. Il va nous falloir des forces.
« Les vraies victoires ne se remportent qu’à long terme et le front contre la nuit. », écrivait René Char.
Il écrivait aussi :
"Le jour franchit le soir.
Il gagnera sur la nuit quotidienne.
Ô notre force et notre gloire,
Pourrez-vous trouer la muraille des morts?"
Célie Pauthe, directrice et toute l'équipe du CDN et du spectacle Comment on freine ?